Gentleman Paul…

Par Jean-Jacques Wittezaele

Comment résumer l’influence de Paul Watzlawick sur moi ? Il a simplement changé toute ma vie ! Avant de connaître son travail, j’étais un « psychologue honteux » : je n’osais parler de ma profession parce que je me sentais incompétent et inutile ; ce que j’avais appris à l’université me semblait prétentieux et inadéquat pour comprendre et surtout pour aider mes semblables. Ses deux ouvrages, Changement[1] et Une logique de la communication[2], furent d’abord une révélation intellectuelle et philosophique passionnante ; ensuite, après un séjour de trois mois au MRI de Palo Alto, j’ai découvert une pratique de la psychothérapie à la fois simple, respectueuse et efficace. Respectueuse parce qu’il avait une vision non normative des patients ; il cherchait à comprendre comment ils arrivaient à souffrir autant, alors qu’ils faisaient tant d’efforts pour résoudre leurs difficultés !  Comment comprendre et dénouer ce paradoxe ? Et Paul pouvait se montrer très créatif dans cet art.

Je me souviens encore de la première séance à laquelle j’ai assisté au Centre de thérapie brève. Une femme venait se plaindre qu’elle faisait le même cauchemar depuis des mois : chaque nuit elle rêvait qu’une sorte de fantôme venait pour l’emmener… Elle se réveillait alors en hurlant, ce qui effrayait tous les habitants de la maison. Paul écoutait, derrière la glace sans tain, se tenant le visage dans les mains, alors que Dick Fisch était le thérapeute qui questionnait la patiente. Soudain, il se saisit du téléphone et demanda à Dick si la patiente serait d’accord de faire une expérience mais qu’on ne lui expliquerait pourquoi qu’à la séance suivante. Dick transmit la demande à la patiente qui, surprise (mais rassurée par le fait qu’il ajouta que ce ne serait ni dangereux ni compliqué), accepta. Paul proposa alors que, chaque soir, au moment de se coucher, la dame mettrait une chaise au pied de son lit et la recouvrirait d’une couverture. C’est tout. La dame était étonnée mais partit en promettant de faire ce que Paul lui avait conseillé. J’étais stupéfait et j’attendis la séance suivante avec impatience. La dame revint, simplement pour dire que, depuis le premier soir après la séance, le « fantôme » avait complètement disparu et qu’elle remerciait les intervenants. Quand j’eus l’occasion de demander à Paul les raisons qui l’avaient amené à donner cette consigne étrange, il me répondit : « Tu vois, tout le monde essaie de résoudre rationnellement une peur irrationnelle, alors moi je lui ai demandé de construire elle-même son propre fantôme ! » La patiente n’a jamais demandé l’explication !

Selon moi, ce qui a été décisif dans son apport pour le MRI et pour la psychothérapie en général, c’est le lien que Paul a établi entre les théories systémiques (en particulier la cybernétique) développées surtout par Gregory Bateson, et le constructivisme (Heinz von Fœrster, Ernst von Glasersfeld) ; cette double épistémologie a permis de rendre compte des interactions de l’individu avec lui-même, sources de nombreux paradoxes et de problèmes psychologiques. Selon moi, cela rend compte à la fois de l’homme en tant que produit des interactions qu’il a avec son environnement, mais aussi de l’individu en tant que créateur de réalité unique.

Il a été capable de rendre ces réflexions épistémologiques complexes accessibles au grand public et cela aussi est remarquable. Ces ouvrages La réalité de la réalité[3]L’invention de la réalité[4]  ainsi que ses deux livres plus humoristiques[5] ont permis une large diffusion de ses idées et ont montré l’étendue de leur champ d’application à toutes les activités humaines.

Je pense que l’originalité de cette approche n’a pas encore été perçue à sa juste valeur par la plupart des psychologues, même si son grand ami Giorgio Nardone et d’autres thérapeutes ont beaucoup fait évoluer les techniques thérapeutiques initiées par Paul et son équipe du MRI.

Je pense aussi que sa modération est et reste exemplaire : Paul a toujours recommandé de ne pas chercher à accomplir des prouesses, à vouloir éradiquer tous les problèmes. Conscient des limites humaines, il cherchait à soulager la souffrance des individus, à rendre les problèmes accessibles à une solution concrète et non pas à vouloir faire leur bonheur. Paul était un gentleman, et il reste un exemple pour toutes les personnes intéressées par la communication et la psychothérapie aujourd’hui.


[1] Change (P. Watzlawick, J. Wealand, R. Fisch)

[2] Pragmatics of Human Communication (P. Watzlawick, J. Beavin, Don D. Jackson)

[3] How Real Is Real

[4] The invented Reality

[5] The situation is Hopeless but not Serious; Ultra-Solutions

ZUM AUTOR: Jean-Jacques Wittezaele, Director-General et co-fondateur de l´IGB; Docteur en psychologie et psychothérapeute, Coaching et Supervisions, Institut Ecologie de L`esprit  à Stoumont/Belgique ; il est l´auteur de « A La Recherche De L’ecole De Palo Alto »

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